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Plus un strapontin de libre au Théâtre des Champs-Élysées pour le récital de Grigori Sokolov : il y a encore cinq ans, la salle était clairsemée. Les «sokoloviens» de la première heure s'amusent de l'engouement de ceux qui ont pris le train en marche, mais ils ne pourront jamais rallier ceux qui n'adhèrent pas au génie si particulier du pianiste russe. Car tout comme avec Glenn Gould, mais dans des esthétiques opposées, on peut dire : «il y a Sokolov, et il y a les pianistes». Selon un déroulement tenant de plus en plus du rituel, il l'a encore prouvé vendredi soir, avec un récital fascinant même quand il irrite. Dans Bach (Suite française n° 3), Sokolov abolit toute séparation entre le fond et la forme. Non seulement chaque idée musicale est parfaitement lisible, mais le travail sur la qualité du son, sa couleur, son poids, est infinitésimal. Dans La Tempête de Beethoven, on est confronté à la question du pouvoir de l'interprète : est-ce du Beethoven ou du Sokolov ? Ce qu'il réalise est inouï au sens propre, et son art de nous faire perdre le sens de l'orientation dans le temps, en prolongeant les résonances, en allongeant le tempo, en détachant l'articulation, a quelque chose d'envoûtant. Mais on est tout de même bien loin de la dynamique beethovénienne ! Après l'entracte, en revanche, c'est l'osmose entre un interprète et un compositeur : une véritable union mystique semble lier Sokolov à Scriabine. La manière dont il enchaîne sans interruption cinq oeuvres choisies parmi les trois périodes créatrices du musicien, jouant dans le noir comme à son habitude, met l'auditeur dans un état hypnotique. On ne sait bientôt plus à quelle pièce appartient le mouvement que l'on écoute, car on n'entend plus la 3e ou la 10e sonate, mais un vaste parcours spirituel où même les trilles ont une dimension visionnaire, culminant dans une interprétation surnaturelle deVers la flamme. Avec la palette sonore la plus variée de tous les pianistes en activité, c'est un véritable cosmos que nous ouvre Sokolov. Récital Grigori Sokolov au Théâtre des Champs-Élysées
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